Casey ; she's got a world of chances (uc)

Blottie dans son duvet miteux, Claire gémit et bougea dans son sommeil, la bouche entre-ouverte. Le soleil, déjà levé depuis des heures, laissa filtrer quelques rayons à travers la tente mais ne réveilla pas la jeune femme, profondément endormie. Chose surprenante, après toutes les épreuves qu'elle avait traversé ces derniers jours. Il y avait eu cet énième entretien avec le voyant, qui l'avait laissé perdue et effrayée, puis ce billet d'avion dont le papier glacé lui collait à la peau, elle n'avait pas réussi à s'en débarasser. Et puis, il y avait eu le crash. Jamais de sa vie elle n'avait vécu quelque chose d'aussi terrifiant. Claire savait précisément ce qui s'était passé ce funeste jour du 22 septembre : elle n'avait pas eu la chance de ceux qui avaient perdu connaissance immédiatement puisqu'elle était restée consciente tout du long. Il n'y avait aucun mot pour décrire l'horreur qu'elle avait ressenti lorsque l'avion avait entamé sa longue chute libre dans le vide ni la terreur lorsqu'elle avait compris qu'elle allait mourir. Le temps de fermer les yeux quelques secondes, elle avait été projetée sur le sable et avait regardé l'appareil s'embraser. Elle ne s'était mise à crier que quelques minutes plus tard, le temps de réaliser qu'elle était vivante et que le bébé faisait des galipettes dans son ventre. Grâce à l'aide d'un médecin, les contractions avaient cessé et après avoir failli mourir pulvérisée par l'aile de l'avion, elle avait pleinement pris conscience de la situation : elle était vivante, sans aucune égratignure, après un violent crash d'avion qui avait tué des centaines de personnes. Elle se serait presque crue dans l'une de ces séries à frisson qu'elle regardait tous les samedis soirs. Malheureusement, tout ce qui l'entourait était bien réel. Et impossible de revenir en arrière, changer d'avis ou fuir, comme elle avait cherché à faire toute sa vie.

Car passé la frayeur du crash et la joie d'être en vie, l'australienne s'était retrouvée avec un nouveau problème sur les bras : ce petit être, qui avait élu domicile en elle et dont elle croyait être débarassée, allait devenir son bébé d'ici peu. Elle ne pouvait plus y échapper, mais ce n'était pas ce qui l'angoissait le plus. Non, il lui arrivait quelque de vraiment paradoxal : alors qu'elle avait passé les derniers mois à haïr son enfant, voilà qu'elle s'inquiétait pour lui, guettant les signes qu'il lui envoyait. Elle se surprenait même à poser tendrement une main sur son ventre. Tous ces mois à refouler l'amour qu'elle lui portait déjà, à refuser de penser à lui en tant qu'être humain, tout ce travail s'était écroulé en une seule journée. Le pire était que tout le monde la considérait comme une future mère, qui serait bientôt heureuse et comblée. Mais s'ils apprenaient qu'elle était en réalité la pire maman au monde ? S'ils découvraient qu'elle avait cherché à se débarasser sans scrupule de son enfant parce qu'elle était trop faible pour assumer ses responsabilités ? Elle ne voulait pas de toute cette honte, pour une fois dans sa vie, elle voulait faire les choses bien. Et sa nouvelle existence commençait maintenant.

Mais la vie sur l'île n'était pas de tout repos, même si Claire savait que c'était le prix à payer pour sa rédemption. Les réserves de nourriture et d'eau s'amenuisaient de jour en jour, ainsi que l'espoir de revoir un jour la civilisation. Sans compter les récentes attaques sur le camp, qui, même si elle ne le montrait pas (encore une de ses bonnes résolutions !) paralysaient la jeune femme de peur. Elle avait aperçu le corps de cette gamine, poignardée à même le sable et avait compris qu'ils n'étaient pas en sécurité sur cette île. Ce qui faisait un problème de plus, dans sa nouvelle vie déjà assez compliquée. Mais tout n'était pas noir, loin de là ! Elle avait de la chance d'être tombée sur des gens formidables dès le premier jour du crash. Il y avait tout d'abord eu Charlie, qui était souvent près d'elle. Il était un des seuls à la faire encore rire et elle appréciait les moments qu'elle passait avec lui à parler de tout et de rien, comme si ils étaient seulement dans un salon de thé. Mais il y avait également Prudence, sa colocataire. Elles s'étaient rencontrées le soir du crash et avaient immédiatement sympathisé. Leur colocation avait suivi, tout naturellement et vivre avec elle lui convenait très bien. Claire avait tout de suite deviné que Prudence était timide tout comme elle et qu'elle n'aimait pas franchement se mêler aux autres. Elles n'étaient pas tellement proches mais elles n'avaient pas besoin de parler pour se comprendre, c'était ce que Claire appréciait : elles partageaient une vraie et sincère complicité et c'était pourquoi elle avait tant confiance en Prue. Malheureusement... elle avait également un énorme défaut : réveiller Claire bien trop tôt à son goût. Et ce matin n'échappait pas à la règle ! La blondinette ouvrit les yeux, encore étourdie par un rêve interrompu brusquement et passa une main dans ses cheveux dorés en bataille.

« Dis Pruddy... Pourquoi il faut toujours que tu me réveilles aux aurores ? »

Etouffant un soupir indigné pour ne pas la vexer, elle se redressa aussi vite que lui permettait son ventre et sortit de son duvet à quatre pattes, se cachant les yeux lorsqu'elle aperçut que Prudence avait entre-ouvert la tente. Les rayons du soleil lui brûlèrent les yeux, réchauffant son corps engourdi. Très bien, peut être qu'il était un peu plus tard que les aurores... Peut être même qu'il était aux alentours de midi. Peu lui importait de toute façon, elle n'avait plus la notion du temps et ne faisait rien non plus pour la retrouver. Elle aimait ce dépaysement forcé, cette sensation d'être complètement perdu à l'autre perdu. Si l'on oubliait les dangers qui rôdaient dans la jungle, l'île était presque paradisiaque, finalement !

A présent qu'elle était debout, elle rejoignit Prue en quelques enjambées (la tente était aussi grande qu'un mouchoir de poche) et, ayant pris soin de s'attacher les cheveux auparavant, sortit de la tente. Poussant un soupir de bonheur lorsque ses pieds nus rencontrèrent le sable chaud, elle observa le campement qui se réveillait doucement. Bon, elle n'était pas la seule marmotte, apparemment. Ce petit détail la rassura et elle adressa un sourire éblouissant à sa colocataire, de meilleure humeur.

« Bien dormi ? »

Elle fit demi-tour et rentra dans la tente, à la recherche de quelques fruits qu'elle avait récupéré hier soir. Elle avait refusé de les manger, préférant les partager avec Prudence au petit déjeûner. C'était sa façon de remercier la jeune femme d'être aussi gentille avec elle (sauf le coup du réveil, évidemment !) et de sceller définitivement leur amitié. Ce geste ne faisait pas parti de ses bonnes résolutions, elle était réellement reconnaissante envers Prue. Attrapant deux mangues, elle l'agita devant le nez de cette dernière en éclatant de rire face à son air surpris.

« Room service mademoiselle ! »

La journée commençait vraiment bien. Claire regarda distraitement l'horizon, l'océan s'étendait à perte de vue. Pendant toute une semaine, elle avait guetté frénétiquement l'arrivée des secours mais il avait bien fallu se rendre à l'évidence : il ne viendrait pas pour le moment. D'ordinaire, ce statut l'agaçait, elle ne supportait pas de rester ici sans rien faire, en sachant qu'ils ne seraient pas secourus. Mais aujourd'hui, elle acceptait pleinement son destin.